
L’agriculture est responsable d’une part significative des émissions de gaz à effet de serre (GES) à l’échelle mondiale. Face à l’urgence climatique, les agriculteurs sont appelés à jouer un rôle crucial dans la lutte contre le réchauffement planétaire. Cette transformation nécessite l’adoption de pratiques innovantes et durables pour réduire l’empreinte carbone des exploitations agricoles. Examinons les stratégies concrètes permettant aux fermes de diminuer leurs émissions de GES tout en maintenant leur productivité et leur rentabilité.
Les principales sources d’émissions de GES dans l’agriculture
Pour cibler efficacement les efforts de réduction des émissions, il est primordial d’identifier les principales sources de GES dans le secteur agricole. Les émissions agricoles proviennent principalement de trois sources :
- L’élevage et la gestion des effluents d’élevage
- La culture des sols et l’utilisation d’engrais
- La consommation d’énergie pour les machines et les bâtiments
L’élevage est responsable d’une part importante des émissions, notamment via la fermentation entérique des ruminants qui produit du méthane. La gestion des effluents d’élevage génère également des émissions de méthane et de protoxyde d’azote.
La culture des sols et l’utilisation d’engrais azotés sont à l’origine d’émissions de protoxyde d’azote, un puissant gaz à effet de serre. Les pratiques de travail du sol intensif libèrent par ailleurs du dioxyde de carbone stocké dans les sols.
Enfin, la consommation d’énergie fossile pour le fonctionnement des machines agricoles et des bâtiments d’élevage contribue aux émissions de dioxyde de carbone.
En comprenant ces sources d’émissions, les agriculteurs peuvent mettre en place des stratégies ciblées pour les réduire efficacement.
Optimisation de l’alimentation animale pour réduire les émissions de méthane
L’une des pistes les plus prometteuses pour diminuer les émissions de GES dans l’élevage concerne l’optimisation de l’alimentation animale, en particulier pour les ruminants. Plusieurs approches peuvent être mises en œuvre :
La sélection des fourrages joue un rôle clé. Les légumineuses comme la luzerne ou le trèfle permettent de réduire les émissions de méthane entérique tout en apportant des protéines de qualité. L’utilisation de fourrages jeunes, plus digestibles, limite également la production de méthane.
L’ajout d’additifs alimentaires spécifiques dans les rations peut contribuer à réduire la méthanogenèse ruminale. Des études ont montré l’efficacité de certaines huiles essentielles, d’extraits de plantes comme l’ail ou encore de tanins pour diminuer les émissions de méthane.
La précision des rations est un autre levier d’action. En ajustant finement les apports nutritionnels aux besoins des animaux, on limite les excès et donc les pertes sous forme de méthane ou d’azote dans les déjections. L’utilisation d’outils d’aide à la décision et de capteurs permet d’optimiser les rations.
Enfin, l’amélioration de l’efficacité alimentaire des troupeaux via la sélection génétique est une piste à long terme. En sélectionnant des animaux capables de produire autant avec moins d’aliments, on réduit mécaniquement les émissions par unité produite.
Ces différentes approches peuvent permettre de réduire les émissions de méthane entérique de 10 à 30% selon les études. Leur mise en œuvre à grande échelle nécessite cependant un accompagnement technique des éleveurs et des investissements dans la recherche.
Gestion durable des effluents d’élevage
La gestion des effluents d’élevage représente un enjeu majeur pour réduire les émissions de GES des fermes. Plusieurs pratiques permettent de limiter les émissions de méthane et de protoxyde d’azote liées au stockage et à l’épandage des effluents :
La couverture des fosses à lisier est une solution efficace pour réduire les émissions de méthane lors du stockage. L’installation de bâches flottantes ou de couvertures rigides peut diminuer les émissions de 70 à 90%. Cette technique présente l’avantage de limiter également les odeurs.
La méthanisation des effluents d’élevage permet de valoriser le méthane produit sous forme d’énergie renouvelable tout en réduisant les émissions. Le digestat issu du processus constitue par ailleurs un excellent fertilisant organique.
L’optimisation des techniques d’épandage est primordiale pour limiter les pertes d’azote sous forme de protoxyde d’azote. L’enfouissement rapide des effluents, l’utilisation de pendillards ou l’épandage par temps frais et humide permettent de réduire significativement les émissions.
La mise en place de litières compostées dans les bâtiments d’élevage est une autre piste intéressante. Ce système permet de réduire les émissions de méthane et d’ammoniaque tout en produisant un compost de qualité.
Enfin, l’acidification du lisier est une technique émergente qui consiste à abaisser le pH du lisier pour limiter les émissions d’ammoniac et de méthane. Cette pratique nécessite cependant un équipement spécifique et un suivi rigoureux.
La combinaison de ces différentes approches peut permettre de réduire de 30 à 50% les émissions liées à la gestion des effluents d’élevage. Leur mise en œuvre doit s’accompagner d’une réflexion globale sur le système d’élevage pour maximiser les bénéfices.
Pratiques culturales pour préserver le carbone des sols
Les sols agricoles représentent un immense réservoir de carbone qu’il est crucial de préserver et d’augmenter pour lutter contre le changement climatique. Plusieurs pratiques culturales permettent de favoriser le stockage du carbone dans les sols tout en réduisant les émissions de GES :
La réduction du travail du sol est un levier majeur. Les techniques de semis direct ou de travail superficiel limitent la perturbation du sol et donc la minéralisation de la matière organique. Ces pratiques permettent de préserver le carbone stocké et de réduire la consommation de carburant.
L’implantation de couverts végétaux entre deux cultures principales joue un rôle clé dans la séquestration du carbone. Ces couverts captent le CO2 atmosphérique et l’incorporent dans le sol sous forme de biomasse. Ils limitent également l’érosion et le lessivage des nitrates.
La diversification des rotations culturales avec l’introduction de légumineuses permet de réduire les apports d’engrais azotés et donc les émissions de protoxyde d’azote. Les légumineuses enrichissent par ailleurs le sol en matière organique.
L’agroforesterie, qui consiste à associer arbres et cultures sur une même parcelle, est un moyen efficace de stocker du carbone à long terme. Les arbres captent le CO2 dans leur biomasse aérienne et souterraine tout en améliorant la fertilité du sol.
Enfin, l’apport de matières organiques exogènes comme le compost ou les digestats de méthanisation permet d’enrichir les sols en carbone stable. Ces pratiques doivent cependant être raisonnées pour éviter tout risque de pollution.
La mise en œuvre de ces pratiques peut permettre de stocker jusqu’à 500 kg de carbone par hectare et par an selon les contextes. Leur adoption à grande échelle nécessite un accompagnement technique des agriculteurs et des politiques incitatives.
Vers une agriculture sobre en énergie
La réduction de la consommation d’énergie fossile dans les fermes est un levier important pour diminuer les émissions de GES. Plusieurs pistes peuvent être explorées :
L’optimisation des itinéraires techniques permet de réduire le nombre de passages d’engins et donc la consommation de carburant. Les techniques de guidage GPS et de modulation intra-parcellaire y contribuent efficacement.
Le réglage et l’entretien régulier du matériel agricole sont essentiels pour limiter la surconsommation. Un tracteur mal entretenu peut consommer jusqu’à 20% de carburant en plus.
Le renouvellement du parc matériel avec des engins plus performants et moins énergivores est une piste à moyen terme. Les nouvelles technologies comme l’électrification ou l’hydrogène offrent des perspectives intéressantes pour décarboner la motorisation agricole.
L’amélioration de l’efficacité énergétique des bâtiments d’élevage via une meilleure isolation et des systèmes de ventilation performants permet de réduire significativement les consommations.
Enfin, le développement des énergies renouvelables sur les exploitations (photovoltaïque, méthanisation, éolien) permet de produire une énergie décarbonée et d’aller vers l’autonomie énergétique.
La combinaison de ces différentes approches peut permettre de réduire de 20 à 40% la consommation d’énergie fossile des exploitations. Leur mise en œuvre nécessite cependant des investissements importants qui doivent être accompagnés.
Perspectives et défis pour une agriculture bas carbone
La réduction des émissions de GES dans les fermes est un défi majeur qui nécessite une transformation en profondeur des systèmes agricoles. Si de nombreuses solutions techniques existent, leur mise en œuvre à grande échelle soulève plusieurs questions :
Le financement de la transition bas carbone est un enjeu crucial. Les investissements nécessaires sont souvent importants et les retours sur investissement parfois longs. Des mécanismes de soutien public et privé doivent être mis en place pour accompagner les agriculteurs.
L’accompagnement technique des exploitants est indispensable pour permettre l’appropriation des nouvelles pratiques. Le renforcement des réseaux de conseil et la formation continue des agriculteurs sont des leviers essentiels.
La valorisation des efforts des agriculteurs est un point clé pour encourager le changement. La mise en place de labels bas carbone ou de systèmes de rémunération des services environnementaux peut y contribuer.
L’innovation doit être soutenue pour développer de nouvelles solutions techniques. La recherche sur les additifs alimentaires, les cultures résistantes à la sécheresse ou encore les outils d’aide à la décision doit être intensifiée.
Enfin, une approche systémique est nécessaire pour éviter les effets rebonds ou les transferts de pollution. La réduction des émissions doit s’inscrire dans une démarche globale d’agroécologie.
Relever le défi de la réduction des émissions de GES dans les fermes est une nécessité pour lutter contre le changement climatique. C’est aussi une opportunité pour construire une agriculture plus résiliente et durable, capable de nourrir la planète tout en préservant l’environnement. La mobilisation de tous les acteurs, des agriculteurs aux consommateurs en passant par les pouvoirs publics, sera nécessaire pour réussir cette transition.